jour
11

Après l’orage est l’un des textes les plus difficiles que j’ai eu à écrire. Il est lent, triste, même s’il y a beaucoup de joie aussi. La question qui me taraudait, c’est: pourquoi se sent-on toujours si coupable des malheurs qui nous arrivent? Nous n’en sommes pourtant pas responsables. Il faut croire que c’est humain de chercher un coupable et il si facile de se pointer du doigt. Si tel est le cas, chassez ces pensées. La vie donne, la vie prend. Elle ne fait pas de sélection. Le malheur arrive et personne n’en est responsable.
Au besoin, relisez ce petit paragraphe et répétez-le souvent, au moins autant qu’il en faut pour que votre tête y croit.
Superman
Au salon, le feu crépite dans la cheminée. C’est doux, apaisant. J’ai pris l’habitude de passer mes soirées ici et d’attendre que la fatigue m’oblige à monter dans ma chambre.
Pendant que je me prélasse sur le canapé, Carl range la cuisine.
Ce soir, Brenda sort des albums photos et s’installe à côté de moi. Elle se met à tourner les pages et à me parler de l’enfance d’Alex et de Carl. Je plonge dans ses histoires en observant les images qu’elle pointe du doigt. Dix minutes plus tard, je pouffe de rire en apercevant de nombreuses photographies de Carl vêtu en Superman. Le principal intéressé surgit alors et s’exclame d’une voix trouble :
— Maman, pitié ! Ne lui montre pas ces photos !
— C’est tellement mignon, dis-je en continuant de rire. Je ne savais pas que tu aimais Superman !
— Il se déguisait en Superman chaque Halloween.
— Pas tous les Halloween, se défend-il.
— Non, enfin… tu as dû t’arrêter quand tu avais onze ans, précise sa mère.
Elle tapote la place à côté d’elle et, malgré son visage contrarié, il finit par s’y laisser tomber. Pour le principe, il grogne, demande à sa mère de ne montrer que les photographies d’Alex, et essaie d’accélérer la vitesse à laquelle elle tourne les pages. Je les regarde se chamailler en récupérant mon chocolat chaud, mais j’avoue que j’ai du mal à contenir mon rire. Sur toutes les pages, le petit Carl n’a que des vêtements de Superman : pyjama, T-shirt et le costume officiel, qu’il arbore fièrement, bien entendu.
— Ça te va bien, les collants, je reprends en pointant une image de lui.
— D’accord, j’aimais Superman. Ce n’est pas un crime ! rumine-t-il.
— Avoue que c’est drôle ! Tu as toujours le même costume, année après année.
Il cherche encore une fois à accélérer le défilement des images, espérant probablement détourner mon attention autre part, mais en vain. Je désigne une autre photographie de lui dans sa chambre, remplie d’objets liés à Superman.
— Dis donc, tu étais vraiment fan !
— Mais arrête avec ça ! me supplie-t-il. Tous les petits garçons ont un superhéros favori. Alex c’était… Spiderman.
— Ça n’avait rien à voir avec toi, certifie Brenda.
Il lance un regard noir à sa mère, comme s’il s’était attendu à ce qu’elle prenne son parti. Or, elle dépose simplement l’album sur mes cuisses et me dit de continuer pendant qu’elle retourne à la cuisine. Je fais mine de m’intéresser aux images, mais je ne parviens pas à retrouver mon sérieux.
— Tu sais, Superman est sûrement le meilleur de tous…
Carl soupire d’agacement et essaie de tourner la page, impatient que je referme l’album. Il essaie de noyer le poisson, me parle de ses souvenirs avec Alex, mais c’est plus fort que moi, je n’arrive pas à changer de sujet.
— Et les collants, ça ne t’embêtait pas de mettre ça ?
— Charlotte, j’avais dix ans !
— Désolée. Je n’arrive pas à t’imaginer en Superman.
On dirait que je ne peux plus arrêter de rire. Je n’arrive pas à concilier le Carl que je connais avec le fan de Superman que me présentent les photos. À la limite, Alex, ça passe encore. Après tout, il était complètement fou et il adorait me surprendre. Mais Carl ! Il est tellement sérieux !
— Tu imagines si tes employés te voyaient comme ça ?
J’appuie une main sur mon ventre, qui tremble pour contenir mon hilarité, mais c’est peine perdue. Je crois que je vais bientôt me mettre à pleurer tellement cette image du petit Carl déguisé me hante. Brenda revient et m’aperçoit, encore aux prises avec un rire incontrôlable. Elle questionne son fils :
— Mais qu’est-ce que tu lui as dit ?
— Rien du tout ! Elle se moque encore de moi habillé en Superman !
Il en paraît désespéré, d’ailleurs, mais sa mère sourit en me voyant ainsi. Je ne sais plus à quand remonte mon dernier fou rire, mais c’est agréable et je n’ai aucune envie de le chasser. Quand mon abdomen se contracte, je sursaute, légèrement étonnée, et je retrouve mon calme d’un coup. Je déplace ma main là où j’ai perçu quelque chose, y accordant immédiatement toute mon attention.
— Charlotte ? questionne Brenda, qui a surpris mon geste.
Je ne réponds pas, mais je sens un autre coup dans mon ventre. Prise d’une émotion que je ne sais pas définir, je souffle :
— Le bébé. Je crois que… qu’il a bougé.
Personne ne réagit, tandis que mes doigts parcourent le dessus de mon ventre, à la recherche d’un autre mouvement. J’ai peur d’avoir rêvé tellement cela a été rapide. Quand un autre coup se fait sentir, je relève des yeux transis vers Carl.
— Oh, mon Dieu… c’est incroyable !
Je lui fais signe de me donner sa main, et Brenda s’empresse de s’approcher de nous. Des tas de doigts se posent sur moi, en quête du moindre signe d’activité. Nous restons ainsi de longues minutes, à espérer que quelque chose se passe. Je désespère de sentir ma fille se manifester une nouvelle fois, quand un autre coup rapide surgit. C’est Brenda qui sursaute :
— Je l’ai senti !
Je regarde Carl, qui hoche la tête sans dire un mot. Tout est immobile dans la pièce, à l’exception des sourires qui apparaissent sur nos visages. Brenda caresse doucement mon ventre en chuchotant :
— Nous t’attendons impatiemment, petite fille…
Carl est le premier à retirer sa main et Brenda l’imite. Son sourire illumine la pièce. Nous continuons de faire défiler les photos, mais toute mon attention est ailleurs. Mes doigts ne quittent plus mon ventre, comme si je restais à l’affût du moindre mouvement que je pourrais percevoir.
— Tu sembles heureuse, murmure Carl.
— Je le suis, dis-je simplement.
— Parce que tu sens le bébé bouger ?
— Je ne sais pas. Je me sens bien, c’est tout.
Ma réponse est vague, mais il semble l’apprécier, puisqu’il récupère ma main et y dépose un baiser rapide.
— Tu apportes tellement de joie dans cette maison, Charlotte. Merci.
Extrait tiré de: