Depuis les vacances (et encore maintenant), je travaille sur des corrections éditoriales pour un gros bouquin qui sortira cette année. Le problème, c’est que je l’ai écrit il y a fort longtemps. En ouvrant le document annoté par mon éditrice, j’ai failli faire une crise cardiaque. En même temps, le rouge ne me gêne pas, c’est juste que j’ai compris tout le boulot que ce serait. À la première relecture, je suis passée par tous les états. Pourquoi ai-je voulu publier cette histoire? Pourquoi l’avait-on accepté? Ma réaction du moment: je voulais me cacher!
Le premier passage, c’est le plus difficile et le plus long. On voit les failles du texte, ses lourdeurs, ses maladresses. Parfois, une question toute bête remet en question tout un chapitre. Dans certains cas, on préfère couper une section et la réécrire. Dans d’autres cas, on ne réécrit pas. On tue, tout simplement. On a des moments de découragements, parce que ça paraît interminable, parce qu’on a la sensation qu’on ne s’en sortira jamais, mais bon… on résiste au doute qui nous vrille le ventre et on finit par y arriver.
Au deuxième passage, déjà, la lecture est plus fluide. On n’a moins envie de se jeter du haut d’un pont. On voit encore des erreurs, mais ce n’est plus aussi mauvais. On peaufine des bouts, on revoit certaines formulations, on fait la chasse aux coquilles et aux répétitions. Dans moins de cas, on réécrit, mais je ne vous mentirai pas: ça arrive quand même.
Le troisième passage est le plus rapide. Ça se lit mieux. Parfois on retrouve une répétition, parfois on coupe un petit bout inutile, mais dans l’ensemble, on est plus fier de notre histoire. On commence à croire qu’on a eu raison de la soumettre, que c’est encore une bonne histoire. On trouve des phrases belles, des passages forts, on a des petites émotions de fierté, on se demande même si c’est nous qui a écrit ça.
Là, généralement, c’est le moment de le renvoyer à l’éditrice pour un autre cycle. Généralement, la confiance remonte (pas trop, mais un peu). Dans tous les cas, on a la sensation d’avoir bien bossé ce texte et de l’avoir emmené au bout de ses possibilités (et des nôtres aussi).
Et ça, ce n’est qu’un cycle. Après, il faut recommencer (mais généralement, c’est de mieux en mieux, ouf!)
Oh! J’entends dans vos têtes! Vous devez vous dire que ce texte devait être affreusement mauvais pour avoir besoin de tant de modifications, hein? Eh bien, ce n’est pas faux (mais comme il a été accepté par deux bonnes maisons, je pense que ça se défend assez bien). Dans les faits, il s’agit du huitième roman que j’ai écrit et, depuis, j’en ai écrit dix-sept autres, puis publié neuf, dont quatre qui sont passés sous la loupe d’une correction éditoriale. Inutile de vous dire que je vois clairement l’évolution de mes derniers textes par rapport aux premiers. C’est le jour et la nuit.
Morale de cette histoire? C’est en forgeant qu’on devient forgeron. Plus on écrit, plus on apprivoise le matériau qui est le nôtre. Plus on lit, plus on décode les techniques et on découvre ce qui nous fait vraiment vibrer dans les textes. Tel thème, tel sentiment, tel mot précis…
J’ajouterais que pas une fois je n’ai mis en doute la légitimité que mes textes avaient besoin d’être travaillés. Pas une. Même ceux sur lesquels je bosse (quand j’ai le temps). Je dirais même plus que pas un jour ne passe sans que je maudits remercie mon éditrice pour ce travail colossal qu’elle accomplie avec moi (dans ma tête, hein, rassurez-vous, je ne lui écris pas tout le temps).
Et même si ça paraît étrange de le dire: écrire, c’est formateur. Corriger, ça l’est d’autant plus, même si c’est dur pour l’égo (voir le billet de la doyenne à ce sujet). Un texte, c’est un diamant brut, et il faut le polir pour qu’il brille à son plein potentiel.