Adolescente, j’écrivais beaucoup. Des pages et des pages. J’étais aussi extrême qu’aujourd’hui, toujours en train de griffonner dans mon cahier, incapable de m’arrêter, comme un chien avec son os. C’est pour ça que je suis allée en littérature. Pour comprendre la magie que nous apportait la lecture, en espérant la comprendre et, un jour, pouvoir faire la même chose, moi aussi, avec mes écrits.

Vous savez quoi? Tout ce que j’ai découvert pendant mes études, c’est la recherche. Out, le goût d’écrire. Out, le goût de comprendre la magie. C’est resté obscur, bien enfoui à coups de livres classiques qu’il fallait se taper et décortiquer sous tous les angles. Les professeurs se fichaient bien qu’on ait du talent. Eux, ils voulaient qu’on aient de bonnes notes. Il fallait comprendre le texte. L’écriture, c’est à peine si j’y ai touché.

Dans certains cas, je l’avoue, comprendre le texte m’a beaucoup aidé à l’aimer. Madame Bovary, pour ne pas le nommer. Pour les férus de lectures, c’était tout indiqué.

Or, pour quelqu’un qui adore écrire, c’est extrêmement frustrant. Ces études, utiles oui, m’ont complètement découragée de l’écriture. Certes, je suis devenue une grande lectrice. Jusqu’à la maîtrise, du moins. Après, il fallait lire des textes de littérature blanche, des classiques, des grands textes, puis des ouvrages de recherches. Adieu le temps de la lecture récréative. Il faut que tout serve. Pas le temps de lire pour le plaisir.

C’est pourquoi aujourd’hui, quand je lis, il faut que ça me fasse plaisir. J’ai assez lu pour les études. Laissez-moi choisir un livre juste à son titre. Je ne veux pas en entendre parler à la télévision ou me faire dire que c’est merveilleusement bon. Je veux le choisir moi-même, comme une grande. Oui, je crois que je suis assez grande pour aller chercher ce bouquin-là dont personne ne parle et qui mérite d’être lu. Retour aux sources.

Pour l’écriture, l’arrêt a été rapide. Au CEGEP, j’écrivais beaucoup. À l’université: on arrête tout. À force de lire certains genres (et apprendre à aimer certains genres), j’ai vite compris que je n’écrirai jamais des textes comme ça. C’est ça, un auteur? Arg. Impossible d’atteindre ce niveau-là, impossible d’écrire comme ça. D’ailleurs, je me souviens, au baccalauréat, j’ai pleuré pendant deux jours en lisant Kundera, parce que son roman était parfait. Tellement que c’en était presque mathématique (moi qui haie les maths, en plus). Constat d’échec: je ne serai jamais auteur, donc… autant en rester là.

Exit l’écriture, on fonce en recherche.

Une fois au doctorat, alors que j’étais à deux doigts de boucler la thèse, j’ai tout lâché. J’aurais pu m’envoler ce jour-là tellement cet abandon m’a rendue légère. Moi qui ne lâchais jamais rien. Moi qui me butais à vouloir terminer un projet pour lequel je n’avais plus le moindre intérêt. Liberté! Ce jour-là, j’ai appris un tas de choses. La vie est trop courte pour poursuivre dans une voie qui ne nous passionne plus. Après tout, j’avais un travail que j’aimais, un mari que j’aimais… qu’est-ce que je fichais là?

Peu de temps après cet abandon, et quinze ans après l’écriture de mon dernier texte, l’histoire qui me tenaillait depuis mon adolescence est sortie en 900 pages en moins de trois mois. Une véritable cure contre les études. Un remède pour retrouver le goût d’écrire et ma passion d’alors. Écrire, pas pour publier ou pour être lu, écrire juste parce qu’on a besoin de renouer avec ce qu’on aime, en oubliant les autres, en se fichant des conventions et des grandes oeuvres. Écrire ce qu’on aime, tout simplement.

Aujourd’hui, c’est la même chose. J’écris pour moi. Je m’amuse. Quand je m’ennuie, j’arrête, je fais autre chose. Oh, je ne vais pas vous mentir. Parfois, écrire, c’est pire que le travail. Ça nous obsède et nous empêche de dormir, ça nous rend fou aussi, mais quand on aime, on ne compte pas, c’est bien connu. Écrire ce qu’on aime, c’est le meilleur moyen d’éviter la page blanche.