Mon histoire avec Simone de Beauvoir remonte à plusieurs années, alors que je parcourais les corpus d’auteur au baccalauréat en Études littéraires de l’UQÀM. J’adorais cela bien davantage que les cours à thème, sauf peut-être pour celui sur le roman épistolaire. Enfin… c’est en partie ainsi que j’ai découvert Kundera, George Sand, Virginia Woolf, Marguerite Yourcenar et, évidemment, Simone de Beauvoir.

Drôle de moment, s’il en est un: ma mère venait à peine de mourir, trois ou quatre semaines plus tôt (début décembre) et on devait se plonger dans l’autobiographie d’une femme incomparable dès la mi-janvier.

Déjà, je suis dans un drôle d’état. Encore sous le choc, dans le déménagement et dans la confusion, mais je sais déjà quel est le premier livre de Beauvoir que je lirai: Une mort très douce. À être en deuil, autant lire ce qui convient, soit la mort d’une autre mère: celle de Beauvoir. Pour ceux qui ne connaissent pas, sachez qu’il s’agit du livre de Beauvoir préféré de Jean-Paul Sartre. Un petit extrait?

Pour moi ma mère avait toujours existé et je n’avais jamais sérieusement pensé que je la verrais disparaître un jour, bientôt. Sa fin se situait, comme sa naissance dans un temps mythique. Quand je me disais : » elle à l’âge de mourir « , c’étaient des mots vides, comme tant de mots. Pour la première fois j’apercevais en elle un cadavre en sursis…

C’est donc dans ce contexte particulier que j’ai donc dévoré toute l’autobiographie de Beauvoir dans un ordre plutôt étrange: Une mort très douce, La cérémonie des adieux, en quête du deuil, à la recherche de réponses, dans un moment d’émotion très intenses. Ce n’est qu’après tout cela que je suis finalement allée lire les quatre tomes de son autobiographie (Les Mémoires et la suite) pour… enfin… tomber amoureuses de sa correspondance. J’ai lu les Lettres à Sartre, d’abord, puis, nouvellement publiée (en 1997), les Lettres à Nelson Algren. Un petit bijou qui m’a donné envie de quitter le baccalauréat pour la maîtrise et qui m’a donné bien du fil à retordre durant cette période.

Si je suis autant attachée à Tous les hommes sont mortels, c’est parce que le personnage de Fosca me plaît (la figure de l’immortel, en réalité), mais Les Lettres à Nelson Algren et Les mandarins, c’est autre chose: c’est une histoire d’amour inspirée de faits vécus et complètement livrée sous nos yeux (ce qui a profondément blessé Algren lorsque le roman a été traduit en anglais) puisqu’il s’agit d’une intellectuelle qui est mariée à un français, qui connaît une aventure intense avec un américain et qui revient à Paris parce que c’est là qu’est sa vie. Nul doute que ce sont les raisons, comme on le découvrira plus tard avec la correspondance, qui ont poussées Beauvoir à rester auprès de Sartre même si Algren était véritablement « son petit mari », celui que l’on aime avec son coeur, son corps et son âme.

— Non : vous avez vraiment un cerveau, dit Lewis.
Il continuait à me regarder et il y avait un peu de reproche dans ses yeux : « C’est drôle ; jamais je ne pense à vous comme à une femme de tête. Pour moi, vous êtes tellement autre chose!
— Avec vous, je me sens tellement autre chose! » dis-je en venant dans ses bras.
Comme il m’a serrée fort ! Ah ! soudain aucune question ne se posait plus. Il était là, ça suffisait. (Les Mandarins)

Tout le monde parle de Beauvoir comme l’auteure du Deuxième Sexe, texte qui a été écrit pendant qu’elle était avec Algren), mais il n’empêche que rien ne me sera jamais plus agréable à lire que Les lettres à Nelson Algren pour une raison fort simple: Beauvoir, c’est tellement plus que la féministe! Et ses lettres sont magnifiques:

Au fond du coeur nous ne pouvons être séparés l’un de l’autre, non jamais. Je vous entends encore m’appeler « Ma petite, ma vraie femme », sûre qu’aucune amie, aucune femme d’aucun homme ne lui a jamais donné plus d’amour que moi à vous. Il ne faut pas même dire « donner », je vous appartiens.